
L’adhésion à pas cadencés et empressés au mouvement « équité et diversité » a poussé les institutions symphoniques à un renouvellement de répertoire sans précédent depuis des décennies. Ne serait-ilpas bon, aussi, de se souvenir de quelques oeuvres, du patrimoine ou d’agrément, oubliées pendant ces mêmes décennies ?
Tout être logiquement constitué aurait trouvé évident que, de manière tout à fait habituelle, et ce, depuis très longtemps, chaque programme symphonique, ou presque, comporte par principe une oeuvre à découvrir. Pas forcément une création contemporaine, mais une composition oubliée ou non programmée depuis des lunes par telle ou telle institution.
L’édition phonographique, et notamment le répertoire enregistré dévoilé par des éditeurs indépendants (CPO, Bis, Hyperion, etc.) depuis 40 ans grâce au disque compact, montre bien que la source musicale est intarissable.
Par ailleurs, reconnecter la sortie au concert avec le plaisir de la découverte aurait été une motivation empêchant la vie musicale de tourner en rond et, peut-être, le public de se lasser et de s’évader vers d’autres divertissements.
Les forces de l’immobilisme
La logique de la redécouverte ne va guère de pair avec le « business musical ». Tel soliste ne joue que tel ou tel concerto pendant la saison, et les chefs rentabilisent leur répertoire autant que leur temps de répétition, sautant d’un avion à l’autre et proposant les mêmes symphonies ici et là.
Depuis la mi-2020, les institutions veulent soudain se revendiquer « représentatives de la société ». Le mouvement a amené massivement dans les programmes des partitions de compositeurs afro-américains, de compositrices ou de créateurs autochtones dont on n’avait presque jamais entendu parler. Fort bien. Mais entendons-nous des oeuvres de qualité égale à celles dont, depuis des décennies, nous avons été privés par commodité, paresse ou ignorance ?
Alors que Samuel Coleridge-Taylor, Florence Price, Clara Schumann, Louise Farrenc et William Grant Still, si longtemps méprisés, deviennent les nouveaux héros de la musique classique, ne faudrait-il pas ressentir une petite gêne à l’égard de certaines partitions au coeur du grand répertoire de la musique classique occidentale ?
Voici 10 chefs-d’oeuvre ou partitions d’agrément, faciles à programmer, que nous ne nous souvenons pas d’avoir entendu en 40 ans de fréquentation de salles de concert (ou peut-être une fois, pour certaines).
Nous avons, pour cette liste fort arbitraire, qui pourrait en contenir dix autres tout aussi pertinentes, puisé dans les compositeurs réputés et non dans le « pointu » pourtant si facile à apprécier, comme La Grande Muraille de Chine d’Einar Englund, le Concerto grosso d’Eino Tamberg, la Suite Alentejana de Luis de Freitas Branco, Schlemihl d’Emil Nikolaus von Reznicek, le Diptyque méditerranéen de Vincent d’Indy ou la Symphonie no 2 de Casella, etc.
Les plateformes d’écoute à la demande permettent désormais à tout un chacun de juger, ce qui n’équivaudra pourtant jamais au « choc amoureux » que l’on peut ressentir dans une salle de concert.
Dix oeuvres à revaloriser
Le chasseur maudit, César Franck
Voilà un poème symphonique de 15 minutes composé en 1883. Qui dit poème symphonique (L’apprenti sorcier de Dukas en est un) dit narration, donc un propos musical facile à suivre. Au son du cor, un chasseur part en forêt. Il y a une chevauchée, puis des démons le poursuivent. La réalisation musicale est parfaite, l’oeuvre, spectaculaire. Le chasseur maudit remplacerait à bon escient en début de concert les fameux Carnaval romain ou Tombeau de Couperin. À écouter : Charles Munch, Alain Altinoglu et François Xavier Roth.
Le pigeon des bois (Holoubek), Antonín Dvořák
Voici notre oeuvre « de coeur » de Dvořák, un poème symphonique aussi connu sous le titre La colombe, The Wild Dove ou The Wood Dove. Là aussi, c’est une histoire. Une femme enterre son mari qu’elle a empoisonné pour vivre avec son amant. Les danses de la scène nuptiale succèdent aux funérailles. Puis le drame se noue lorsqu’une colombe qui apparaît régulièrement sur la tombe vient instiller un remords tel que la femme se donnera la mort. La colombe est évidemment l’image de la conscience. En 20 minutes, Dvořák concentre son talent mélodique (symphonies), dramatique (opéras), folklorique (danses slaves). Holoubek est victime de la rigidité du cadre des concerts (ouverture-concerto-symphonie), sa durée (20 minutes) ne cadrant pas avec le « rituel ». À écouter : Charles Mackerras, Claus Peter Flor, Nikolaus Harnoncourt.
Rhapsodie norvégienne, Edouard Lalo
Parfaite ouverture d’un concert « français ». Plus personne ne songe à Lalo de manière générale. Certes, cette fantaisie musicale n’est pas une oeuvre essentielle (mais Still, Farrenc, Price et Coleridge-Taylor ont-ils fait mieux, un jour, que le presto de la Rhapsodie norvégienne ?), mais elle amène une réflexion sur l’offre des concerts en phase postpandémique. Un certain public renâcle à sortir le soir et les orchestres ont largement abandonné les programmes « de simple plaisir » de fin de semaine. La Rhapsodie norvégienne a tout pour plaire dans ce cadre. À écouter : Jean Martinon, Paul Paray.
Danses symphoniques, op. 64, Edvard Grieg
Nous n’allons pas prétendre que les Danses symphoniques de Grieg valent celles de Rachmaninov, mais il n’y a aucune raison de surprogrammer les unes et d’ignorer les autres. Rachmaninov dépeint ses angoisses, Grieg déploie un kaléidoscope de mélodies folkloriques de sa Norvège. Avec un tel émerveillement permanent, il est étonnant que cette oeuvre, en quatre volets, d’une demi-heure, soit si peu connue. À écouter : Bjarte Engeset, Neeme Järvi, Neville Marriner.
Aubade, Francis Poulenc
La quasi-absence de Francis Poulenc des salles de concert est hallucinante : que ce soit le Concerto pour piano, Les biches ou Aubade, cet irrésistible « concerto chorégraphique pour piano et 18 instruments ». Aubade en huit mouvements possèdeun atout rare : celui de tenir en haleine petits et grands, novices et mélomanes confirmés. À écouter : Éric Le Sage et Stéphane Denève.
Symphonie no 2, « Les quatre tempéraments », Carl Nielsen
Archétype de la stupide sclérose des habitudes. Un jour, il a été décidé par « le métier » que « la » symphonie de Nielsen était la Quatrième. Or, la Seconde est beaucoup plus simple d’accès, avec un allegrocolérique, une valse flegmatique, un andante mélancolique et un allegro sanguin. Non seulement on accroche plus facilement à la 2e de Nielsen qu’à la 2e de Brahms, mais l’andante mélancolique est l’un des plus beaux mouvements lents du répertoire ! À écouter : Blomstedt (Decca).
Symphonie no 2, Albert Roussel
Oeuvre plus difficile, mais pan majeur de l’histoire de la musique : la création née du traumatisme de la Grande Guerre (1919). C’est la plus grande symphonie française du XXe siècle, un lien entre Mahler et Chostakovitch, mais « à la française ». À écouter : Jean Martinon, Stéphane Denève.
Amarus, Leoš Janáček
Personne ne connaît cette cantate (1897) à la beauté mélodique lancinante et envoûtante. Amarus raconte l’histoire amère d’un moine, enfant abandonné, élevé dans la solitude, vivant dans la solitude et qui meurt finalement sans avoir connu amour maternel ou amour conjugal. Janáček, longtemps un solitaire, se projette avec tendresse dans cette partition qui est bien plus qu’une « anecdote » dans son catalogue. À écouter : Vaclav Neumann.
Partita, William Walton
Même remarque que pour Lalo et Poulenc : c’est tout Walton qui manque dans les programmes. On parle ici des 1re et 2e Symphonies, de Belshazzar’s Feast et de la Partita, oeuvre créée par George Szell en 1958. C’est, encore une fois, une oeuvre brillante et facile à suivre : une toccata, une sicilienne, une gigue, nourries par une orchestration luxuriante. À écouter : George Szell. Dans le même esprit, tout aussi efficace et tout aussi ignorée : la Turandot Suite de Ferruccio Busoni (1905).
Danse et vengeance de Médée, Samuel Barber
Cela aurait pu être l’ouverture School of Scandal du même Barber. L’objet de la sélection ? Musique américaine, fabuleuse et jamais jouée. À quelqu’un de nous expliquer pourquoi et pour qui on joue ce qu’on joue en ce moment, et pourquoi on n’entend pas Danse et vengeance de Médée. Bonne chance. À écouter : Charles Munch.
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir