

La visite de Donald Trump dans la petite ville de Waco, au Texas, où l’ex-président doit tenir samedi le tout premier rassemblement politique de sa campagne en vue de la présidentielle de 2024, est attendue depuis plusieurs jours comme une bénédiction par le pasteur Charles Pace.
« C’est un cadeau du ciel ! » laisse tomber l’homme qui, depuis plus de deux décennies, s’est fait le gardien de la mémoire du siège de Waco, sur le lieu même du drame. À cet endroit, en 1993, 82 membres de la secte messianique des Davidiens — et quatre agents du gouvernement — ont perdu la vie au terme d’un affrontement avec les autorités qui aura duré 51 jours. Le 19 avril prochain, cela va faire 30 ans.
« C’est une année de commémoration importante qui, je l’espère, va faire sortir toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé, ajoute-t-il. Cet incident s’est produit parce qu’il y avait là des patriotes qui croyaient dans le deuxième amendement de la Constitution des États-Unis [celui qui confirme le droit des Américains à posséder et à porter une arme] et qui, menacés par le gouvernement, ont résisté et se sont battus jusqu’au bout pour défendre leur liberté. »
« Donald Trump lui-même s’est fait assiéger par le FBI », ajoute à ses côtés Alexa, la femme du pasteur, dans la petite église qui, sur ce champ de bataille, fait désormais office de centre d’interprétation de la tragédie.
Sur les murs, les images du gourou, David Koresh, et les visages des victimes s’y mélangent avec des extraits de la Bible, des slogans libertaires et des drapeaux appelant à la réélection de Donald Trump en 2024.
« Il a vécu la même chose qu’ici quand le FBI a frappé sa résidence privée de Mar-a-Lago », ajoute-t-elle. C’était en août dernier. Les autorités tentaient alors de récupérer une série de documents confidentiels, dont plusieurs frappés du sceau « top secret », que l’ex-président a illégalement sortis de la Maison-Blanche après sa défaite de 2020. « Nous sommes la première ville qu’il vient visiter pour sa campagne, une petite ville du Texas. Et ça, ce n’est pas une coïncidence », poursuit-elle.
Du drame au symbole
Waco : la petite ville rurale de l’État du Sud est devenue, il y a 30 ans, plus que le lieu d’un drame qui a frappé les esprits, aux États-Unis comme ailleurs dans le monde, avec ses images de policiers de l’ATF — le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives — et du FBI attaquant une communauté religieuse composée d’hommes, de femmes et d’enfants. Sous le joug de Koresh, qui prétendait être le nouveau fils de Dieu sur Terre, le groupe était soupçonné de production de drogue et de possession illégale d’armes. Entre autres choses.
Avec le suicide collectif des membres de la secte dans une explosion spectaculaire des bâtiments, l’opération policière est aussi devenue un traumatisme national. Les livres d’histoire s’en souviennent comme d’un des événements les plus meurtriers impliquant un affrontement entre le gouvernement et des citoyens depuis la guerre de Sécession.
Des citoyens dont plusieurs ont fait depuis de Waco le symbole de la résistance contre les abus de pouvoir, la répression par l’État, tout en alimentant au passage une série de théories complotistes qui laissent entendre que le suicide collectif des membres de la secte aurait été orchestré par le gouvernement de Bill Clinton, alors président, pour masquer « des choses ». Selon eux, la destruction de cette communauté a été téléguidée par un « État profond » qui n’a de cesse de défendre une élite aux comportements immoraux ayant pour but d’asservir les États-Unis afin de renforcer son pouvoir.
C’est d’ailleurs ce spectre de l’oppression et de l’« État profond » que Donald Trump a une fois de plus convoqué cette semaine pour parler des juges et des « grands jurys » qui, dans plusieurs affaires, s’approchent de plus en plus de ses talons. Samedi dernier, à l’approche de son premier rassemblement politique au Texas, il a annoncé qu’il allait être arrêté le mardi suivant par ce pouvoir politiquement manipulé. Sa prophétie ne s’est pas réalisée.
Vendredi matin, dans une déclaration en ligne, il n’a d’ailleurs pas hésité à rappeler indirectement l’esprit de Waco en parlant du potentiel de « mort et de destruction » qui pourrait accompagner une éventuelle mise en accusation de sa personne par la justice américaine, pour des crimes qu’il nie avoir commis.
Un arrêt calculé
« Le choix d’un lieu pour un discours de campagne ou un rassemblement politique est toujours censé signifier quelque chose, résume en entrevue au Devoir Michael X. Delli Carpini, ex-doyen de l’Annenberg School for Communications en Pennsylvanie et spécialiste de l’opinion publique en politique. Et dans ce cas, cette signification est difficile à manquer. »
Quatre mois après avoir officialisé sa candidature pour 2024, Donald Trump va donc mettre en marche officiellement sa campagne depuis l’aéroport régional de Waco, samedi, en tenant un de ses grands rassemblements partisans qui, comme cela a été le cas durant les deux dernières campagnes présidentielles, ont fait sa marque de commerce.
« C’est quelque chose de très excitant », a résumé jeudi Patty O’Day, organisatrice politique rencontrée dans le bureau du Parti républicain du comté de McLennan, dont la ville de Waco fait partie. « Il n’est jamais venu ici. Cela va peut-être compliquer un peu les déplacements en voiture cette journée-là, mais ça en vaut le prix. »
« Waco est un bon choix pour un rassemblement républicain, car c’est une ville du Texas en pleine croissance entre deux grandes villes métropolitaines (Austin et Dallas), mais aussi une ville qui a tendance à rester plus conservatrice, alors que les autres grandes villes de l’État deviennent toutes un peu plus libérales », résume en entrevue Brendon Bankey, professeur de communication à la University of Texas d’Austin.
Le Texas est également devenu, en 2022, l’endroit aux États-Unis où la propagande des mouvements suprémacistes blancs — qui soutiennent et profitent au populiste et ex-président — s’est le plus multipliée en un an, selon l’Anti-Defamation League (ADL), qui y a recensé 527 incidents. Il est question ici de distribution ou d’affichage d’autocollants, de banderoles, de graffitis, d’affiches et de projections au laser au caractère antisémite, raciste ou ciblant la communauté LGBTQ+. En hausse de 61 % depuis 2021.
« Il ne se passe presque pas une journée sans que des communautés soient ciblées par ces actions coordonnées et haineuses, conçues pour semer la peur », a résumé Oren Segal, vice-président du Centre sur l’extrémisme de l’ADL, cité par le Texas Tribune. « Ces actions sont également bien documentées par les extrémistes eux-mêmes pour motiver leurs troupes en ligne et les pousser à promouvoir la suprématie blanche et la haine. »
Parler aux patriotes
Depuis le mémorial du siège de Waco, le pasteur Charles Pace ne va pas aussi loin, préférant plutôt croire que Donald Trump a choisi la ville de Waco pour « envoyer un message fort et clair aux résistants, aux défenseurs du 2e amendement », dit-il, mais aussi pour « parler directement aux patriotes ».
« Je sais qu’il a lu mon livre », dit l’homme, en tenant dans sa main un fascicule autopublié qui prétend offrir de « nouvelles révélations » sur le siège des Davidiens. Le document rassemble un mélange de théories complotistes alliant élite, satanisme et pédophilie, le tout mâtiné de prophéties bibliques et de publicités pour des objets promotionnels à l’effigie de Donald Trump. « J’en ai donné deux exemplaires à Michael Flynn [ex-conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, devenu porte-voix du mouvement MAGA de Donald Trump], que j’ai rencontré il y a quelques années, en lui demandant d’en donner un au président. Il ne peut pas ignorer ce qui s’est passé ici. »
Et il ajoute : « Peut-être qu’il va annoncer qu’une fois réélu, il va déclassifier des documents sur le massacre de Waco pour faire enfin sortir la vérité. Peut-être aussi qu’il va faire un saut jusqu’ici en hélicoptère ? Bien sûr, moi, je vais être au rassemblement qu’il tient samedi. Mais s’il décidait de venir ici, je peux vous dire que je reviendrais ici très vite. »
Vendredi matin, l’équipe de campagne de l’ex-président n’avait toujours pas mentionné une possible visite du mémorial de Waco par Donald Trump samedi. Aucune rencontre entre les services de sécurité du populiste et Charles Pace, réunion d’ordinaire tenue plusieurs jours avant la visite d’un lieu par une personnalité de haut rang, n’a été inscrite à l’agenda du pasteur.
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.
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