Le ministre Bernard Drainville vient d’annoncer d’importantes mesures, dont certaines que nous sommes nombreux à avoir ardemment souhaitées, depuis des années, mais que d’autres condamnent radicalement et redoutent depuis longtemps. S’opposent ici, entre autres, d’un côté, de rares universitaires et des gens de terrain (en particulier des directions d’école ou de CSS) ; de l’autre, des universitaires en éducation, des intellectuels et une partie des syndicats. Le clivage est immense entre les positions des uns et celles des autres, et il fallait du courage pour faire ce que le ministre vient de faire.
Il reste que, si ce qui a été annoncé donne les résultats espérés, on est à l’aube d’une révolution en éducation.
Et elle ne sera pas tranquille.
Ce qu’on annonce
Les changements annoncés sont immenses. En voici quelques-uns, sans entrer dans les détails.
C’est désormais sur la recommandation du ministre au gouvernement qu’on va nommer les directeurs généraux des centres de services scolaires (CSS), et ceux-ci devront rendre des comptes selon une entente annuelle précisant les attentes — comme cela se fait en santé. Les CSS devront rendre disponibles et diffuser les données nécessaires à des prises de décision éclairées.
On abolit le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE), qui approuvait les programmes de formation pour devenir enseignant, et on crée un Institut national d’excellence en éducation (INEE). Celui-ci fera des recommandations sur les compétences que doivent avoir les enseignants à chaque niveau scolaire. Il diffusera aussi les connaissances sur les meilleures pratiques en éducation et conseillera le ministre et le milieu sur tout cela. Sa mission signe la fin du Conseil supérieur de l’éducation tel qu’on l’a connu : désormais, celui-ci ne s’occupera plus que de l’enseignement supérieur.
Finalement, on entend mieux encadrer la formation continue des enseignants et la rendre plus solide et plus pertinente.
Tout ça est énorme et ça bouscule très fort le milieu, les habitudes, les pratiques et bien des acteurs et des institutions, dont le milieu universitaire.
À mon avis, toutefois, et même s’il reste bien du chemin à faire — notamment appliquer la Loi sur la laïcité de l’État dans toutes les écoles, y compris religieuses, et cesser de subventionner les écoles privées —, on est ici dans un rétablissement des idéaux de la Révolution tranquille, dont on s’était hélas beaucoup éloigné.
Ce qui est en jeu
Je trouve particulièrement important et rassurant ce changement de paradigme qui semble s’amorcer. On reconnaît enfin que trop souvent on n’a que peu, ou pas, de ces données descriptives valides et fiables qu’il nous faut pourtant toujours pour prendre de bonnes décisions.
On reconnaît aussi — enfin ! — qu’on n’agit pas toujours en prenant en compte ce que les meilleures données probantes nous enseignent. Ces données, en fait, ne sont pas assez connues, diffusées et enseignées, et il arrive même qu’on diffuse des faussetés, des légendes pédagogiques, y compris à l’université, et que ces légendes soient, et sont en effet parfois, nuisibles à une pratique efficace. L’INEE devrait aider à corriger cette terrible situation.
Des conditions devront cependant être remplies pour que cet ambitieux changement de paradigme soit correctement accompli. En voici quelques-unes.
Ce qu’on doit souhaiter
Pour commencer, il faut que des personnes crédibles soient nommées à l’INEE, des personnes connaissant bien les données probantes et à l’abri de toutes ces chapelles idéologiques qui ont causé bien du tort à l’éducation chez nous.
Ensuite, il faut absolument assurer l’indépendance de l’INEE par rapport au politique et le maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants.
Il faut encore que cet appel aux données probantes soit lucide et mesuré, qu’on en reconnaisse les limites et admette qu’elles n’ont pas toutes la même valeur, la même crédibilité, et même qu’elles sont, en droit du moins, toujours révisables.
Il faut également que l’on cherche, avec le plus grand sérieux, à savoir si ce qu’on a préconisé a fonctionné comme prévu. Pour cela, une gestion rationnelle axée sur les résultats est un nécessaire complément à tout appel à des données probantes. Celle-ci s’applique au quotidien au titulaire, à l’orthopédagogue, au directeur, au centre de services scolaire, au ministère, tous étant responsables de mesurer professionnellement les effets de leurs actions sur les enfants, d’une manière continuelle.
Enfin, il ne faut surtout, surtout pas oublier que si les données probantes peuvent nous éclairer sur les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre des finalités, elles ne peuvent nous dicter ces finalités. Ici, la place de la philosophie de l’éducation est, avec d’autres domaines de savoir (sociologie, politique), indispensable pour faire collectivement les choix qui s’imposent.
Une révolution est en marche. Elle ne sera pas tranquille. Mais elle doit avoir lieu. L’éducation est une institution trop importante et les choses vont trop mal pour qu’on n’agisse pas. Et cela doit se faire en nous fondant sur le savoir le plus plausible et sur une idée claire des finalités qu’on vise.
Nous nous le devons à nous tous, collectivement. Nous le devons aux enfants. Nous le devons à cet idéal de démocratie qu’il faut nourrir, notamment par la transmission à tous de savoirs reconnus comme essentiels : ce que doit justement faire l’éducation.
Docteur en philosophie, docteur en éducation et chroniqueur, Normand Baillargeon a écrit, dirigé ou traduit et édité plus de soixante-dix ouvrages.
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